Le 17 octobre 2019 Observation faune sauvage

Au pays des orques libres

Arnøya

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Difficile de décrire l’intense émotion de la rencontre

Nous sommes fin octobre au large de Skjervøy par 70°N et un peu plus de 21°Est. Sur les eaux « gris de payne » de l’Océan arctique, Sofie, le beau voilier d’Albert avance bien. Le ciel est chargé et une tempête de neige s’annonce. Mais la lumière est tellement belle qu’on oublie le froid et la houle. Je suis avec Manoah, mon petit fils qui va bientôt fêter ses 11 ans. L’aventure a commencé un an plus tôt avec l’idée de célébrer son entrée au collège et une certaine idée de sa liberté toute neuve, en lui offrant la découverte  d’un univers sauvage, où la nature impose le respect. Nous sommes déjà allés en haute-montagne, sous les aiguilles de Chamonix, avec son petit frère Sacha. Mais cette fois-ci, je rêve pour lui d’un voyage extraordinaire. Et il n’y a, à mon sens, rien de plus beau que la nature sauvage et indomptée pour permettre à un enfant de poser un autre regard sur le monde.

© Photos et illustration : Kat Claude – Kari Schibevaag – Albert Terland Bjørnerem

 

PAR
Kat Claude

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Manoah veut voir des baleines. Un souhait simple à comprendre mais plus difficile à réaliser. Car il faut associer cette demande à l’idée que je me fais du voyage, loin des foules et des groupes standardisés. La passion de la voile m’anime depuis longtemps et chaque été, depuis qu’ils ont 6 ans, ils s’initient aux joies de la voile et du vent.
L’idée de naviguer en Norvège fait son chemin…

C’est avec l’aide de Kari Schibevaag, une norvégienne championne du monde de kite, installée aux Lofoten que nous rencontrons Albert Terland Bjørnerem de Ægir Expeditions. Après des études d’ingénieur naval, il a choisi de prendre du temps et de vivre de sa passion pour la mer et la photographie. De retour d’un voyage de trois mois au Groenland, il accepte de nous embarquer pour cinq jours de navigation à la poursuite pacifique des orques et des baleines.

LE VOYAGE DE MANOAH

Fin octobre 2019, nous arrivons à Tromsø, la capitale arctique du nord de la Norvège. L’aventure commence dans le port avec, à quai, les grands bateaux des expéditions arctiques, et sous une verrière le vieux gréement de Helmer Hanssen, explorateur norvégien qui fut le premier à oser le passage du Nord-Est entre 1903 et 1906.

J’observe Manoah et je suis épatée par la facilité avec laquelle il se glisse dans cette première journée de vadrouille par -12°. Il est curieux et avide de bouger, d’être dehors et de partir plus loin.

Le lendemain nous prenons le ferry pour Skjervøy. Deux heures et demi de voyage sur les eaux des fjords et autour de nous des montagnes recouvertes de neige qui plongent dans la mer. Malgré le froid accentué par la vitesse du navire, nous passons un moment sur le pont à profiter du coucher de soleil. Il est 15h et la nuit polaire arrive vite. Manoah exulte « Regarde comme c’est beau, me dit-il, on dirait qu’il y a des dizaines de mont blanc autour de nous. »

17 heures : nous voici arrivés sur Sofie, un solide voilier norvégien en acier de 38 pieds, construit à Arendal en 1993, pour affronter les glaces. Il y en a 5 dans le monde, dont deux dans le port de Skjervøy. Le bateau est à quai entre deux navires de pêche prêts à partir en campagne. Nous sommes ici au royaume de la morue.

Nous sommes 5 à bord, Kari et Albert, Manoah et moi et, cerise sur le gâteau, Truls le petit Jack russel de Kari, un véritable viking à l’aise sur le pont gelé en toutes circonstances. Après une visite du bateau et les indispensables consignes de sécurité, Albert nous emmène sur le fjord pour admirer nos premières aurores boréales. L’émotion est immense. je regarde Manoah à la barre de ce grand voilier, aussi à l’aise ici que sur son VTT chez lui. Tout semble si naturel et si extraordinaire. Me revient alors en mémoire une phrase de Nicolas Bouvier dans « L’usage du monde » : « La vertu d’un voyage, c’est de purger la vie avant de la remplir. »

La soirée se termine par un poulet au curry dont le parfum renforce encore, dans nos esprits, l’idée que le voyage est bien commencé. Dire qu’hier matin, nous étions encore dans les Vosges…

NOS AMIES LES ORQUES

Nous naviguons dans le Kogensundet entre Arnøya et Seglvik. Le temps a viré à la neige et les paysages sont splendides. Le pont est recouvert de neige et les cordages gèlent sur place. Mais nous sommes si heureux d’être là que nous sommes totalement imperméables au doute. Albert met le cap sur Seglvik, un minuscule petit hameau posé au bord du fjord. L’endroit est magnifique. Nous sommes en pays Sami et ici les habitants, peu nombreux, vivent de la pêche à la morue qu’ils font sécher sur des constructions en bois. Une panne de moteur oblige Albert à utiliser tout son savoir d’ingénieur. Pendant qu’il répare, nous nous promenons le long de la baie. Soudain, nous entendons parler français. Nous faisons connaissance avec Rodolf et Julie, les fondateurs de Valhalla Orca Expedition qui propose des plongées avec les orques. Ils passent l’hiver à Seglvik et, avec beaucoup de gentillesse, ils nous proposent une virée en zodiac dans la baie. Ce sera notre première rencontre avec les orques et les baleines à bosse.

Difficile de décrire l’intense émotion de la rencontre, une émotion qui va se poursuivre les jours suivants lors de nos navigations dans le secteur. Les animaux sont très près de nous, ils semblent nous observer, jouer avec nos regards. Parfois, ils sortent à la verticale la tête de l’eau. Le « spy-hopping », c’est son nom, est une posture de curiosité. Et puis, si ils sont si nombreux à cette époque, c’est que les bancs de harengs sont remontés vers le nord et que le garde-manger est ouvert. C’est un festival de poursuites pacifiques, de suspens, de joie. Kari est allée chercher son paddle et se promène maintenant au milieu des cétacés. Car aux orques sont venues s’ajouter des baleines à bosse. Manoah aimerait faire la même chose mais il est encore trop jeune.

Quant à plonger, c’est une autre histoire. Avant de partir, je lui ai offert le livre de Pierre-Robert de Latour, un des spécialistes des orques. Il en a fait son métier, les étudie, les suit, plonge avec eux et publie régulièrement des vidéos très pédagogiques sur ses expériences. Nous croisons régulièrement un de ses bateaux, le Sila. Avec l’envie de revenir un jour plonger avec les orques.
Nous apprenons à reconnaitre les mâles et les femelles grâce à la forme de leur nageoire dorsale. Et puis nous sommes émus par la manière dont les petits sont accompagnés par les adultes. Observer les orques, la manière dont elles se déplacent, c’est comme ouvrir un grand livre de famille avec en toile de fond de la tendresse, de la protection. Même si ces animaux peuvent être cruels, ils n’en sont pas moins étonnants dans leur vie de clan. Leur chance, c’est d’être des prédateurs de premier rang, ce qui signifie qu’il n’y en a pas d’autre au dessus d’eux. A part l’homme qui, aujourd’hui encore, les enferme dans des bassins aquatiques. Et les fait mourir à petit feu. En captivité, une orque ne survit pas plus de dix ans. En liberté, elles vivent 50 ans en moyenne. Certaines femelles ont même approché les 100 ans.

Les journées se poursuivent entre navigation et observation et les soirées sous les autres boréales restent des moments hors du temps.

Nous sommes heureux d’être sur ce voilier qui nous permet d’échapper aux grands navires touristiques et de prendre la tangente vers des lieux moins fréquentés. Ce que nos amies les orques font aussi avec beaucoup de malice.
Le dernier jour, sur le chemin du retour vers Skjervøy, Manoah s’offre le luxe d’une séquence de pêche à la ligne avec l’aide d’Albert. Et en 5 minutes chrono, il remonte une belle morue que nous dégustons pour le goûter. Directement dans l’assiette une heure après avoir été pêchée. Quel luxe!

Si tu n'es pas sage, j'allume la télévision !!!!

Une balade en paddle, est ce bien raisonnable ?

Grâce à Trond, un ami norvégien venu nous chercher, nous rentrons le lendemain à Tromsø  sur les routes enneigées des Alpes de Lyngen. Encore de magnifiques paysages qui donnent, cette fois ci, envie de skier… Ce sera pour une autre fois.

Notre semaine norvégienne est terminée. Nous revenons plus conscients encore de la richesse de notre planète et de l’urgence à la protéger. Devenu notre skipper en second, Manoah va maintenant tenter d’expliquer à ses copains qu’il a croisé des orques et des baleines et qu’année après année, il va falloir monter toujours plus au nord pour les rencontrer. Parce que l’océan se réchauffe, les bancs de poissons continuent leur migration vers le nord, entrainant avec eux tout un écosystème. Voyager avec des enfants dans ces espaces sauvages est le meilleur moyen de les initier à la curiosité et à la découverte. C’est aussi les amener joyeusement à aimer la nature et à préparer leur monde à être plus bienveillant. Sans discours et sans blabla, simplement en s’émerveillant de tout. Naviguer sous les aurores boréales, dans le froid arctique est une expérience inoubliable.

Merci à Albert et notre partenaire

Merci à Albert et notre partenaire
Sans eux, la vie sur le pont  aurait été un peu plus froide ou dans le carré du voilier un peu moins confortable


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Avatar de thiebaut isabelle ZAB
thiebaut isabelle ZAB

j’espère, un jour être une superbe mamie comme vous:)
Merci pour ces belles photos!