Rökkurró au cœur de cette mouvance “krútt”
L’une des particularités premières des plateformes musicales est de vous proposer des morceaux et des playlists susceptibles de vous séduire, qui correspondent à vos goûts et issus de vos choix musicaux. Low Roar, Sigur Ros, Eivor, Mum, sont des incontournables de la sphère électro pop nordique, de merveilleuses voix qui rythment une musique lechée, le “krútt”. Certains ont déjà fait l’objet d’articles d’inspiration sur Nordge. Alors, c’est tout naturellement qu’un soir, dans mon storvatt et sous les étoiles, que j’ai été charmé par quelques morceaux de Rökkurro, un groupe que je ne connaissais pas !
Originaire de Reykjavik, Rökkurró (Rökkur « crépuscule »; et ró « calme ») est formé au début de 2006 par Hildur Kristín Stefánsdóttir (chant, violoncelle), Arnór Gunnarsson (guitare), Árni Þór Árnason (guitare, claviers), Björn « Bibbi » Pálmi Pálmason (batterie) et Ingibjörg Elsa Turchi (basse, accordéon), qui se réunissent pour répéter dans le grenier de Björn.
Photos : ©Getty – Rökkuro – Cargo – Fejka
Tout est dit et retracé dans cet excellent article publié il y a quelques années
par Mickaël Adamadorassy dans Cargo, Webzine musical.
IRRÉSISTIBLE KRÚTT
Employé par les islandais eux-mêmes pour décrire toute une mouvance artistique, krútt n’a aucun équivalent direct dans notre langue mais on pourrait le traduire par mignon, « qui possède une innocence enfantine ». Mais ce n’est qu’une partie de l’histoire … car si on peut bien trouver très krútt les blondes chanteuses de Múm, cela semble un peu étrange d’accoler ce terme à Björk ou aux musiciens de Sigur Ros. Et pourtant ça se fait car krútt c’est aussi une élégance, une forme d’intelligence particulièrement séduisante.
Et comme tous les termes généralisant abusivement, le Krútt est déjà contesté, détesté, déconstruit, on trouvera certainement bientôt du post-krútt mais en attendant, nous sommes en 2006 à Reykjavík, Rökkurró est en train de naître dans le grenier de Bibbi (Björn Pálmi Pálmason), le batteur. Il est question de violoncelle et accordéon, d’Amélie Poulain et la voix sublime de Hildur Kristín Stefánsdóttir est déjà de la partie. Pas de doute… ils sont indéniablement, irrésistiblement krútt.
Það kólnar í kvöld
Après un EP 4 titres, Rökkurró signe chez 12 Tónar, qui est à la fois un magasin de disque (qui a fermé depuis), lieu de rendez-vous de toute cette scène de Reykjavík et un label, où l’on retrouve aussi Mugison ou Ólöf Arnalds (avec qui on a tourné une jolie session cargo !). Ils sortent un premier album, Það kólnar í kvöld (non je ne saurais pas vous le prononcer), il s’agit de jolies chansons construites autour des textes en islandais et de la voix d’Hildur, sur des tempi relativement lents, avec des ambiances mélancoliques voir nostalgiques avec la présence fréquente de l’accordéon. La guitare électrique se manifeste avec parcimonie, la batterie est jouée le plus souvent de manière très feutrée, ce qui n’empêche pas une certaine sophistication dans le jeu de Bibbi (Ferðalangurinn), qui sait laisser de l’espace tout en apportant vraiment quelque chose de plus qu’une simple pulsation métronomique.
Malgré le jeune âge des musiciens et l’accordéon (non on plaisante, on l’aime bien quand même), on sent beaucoup d’intelligence et de maturité chez Rökkurró. Ils sont très appliqués, et s’ils privilégient les atmosphères sereines, un dévoilement assez lent, ils savent apporter ce qu’il faut de variété pour offrir un premier album qui tient la longueur et sait sortir du format chanson. Sur (Hetjan a Fjallinu) la machine s’emballe soudain, le guitariste sort enfin sa pédale de distorsion, le batteur n’a plus peur de « crasher » les cymbales plutôt que de les caresser. Cet exutoire au plein milieu de l’album est une cassure rythmique très bien vue. On a aussi des « indices » pour ce que sera la suite dans les passages purement instrumentaux ou dans Allt gullio qui introduit les arpèges et le tremolo picking typique du post-rock.
Ferðalangurinn – 2008
Í annan heim, un autre monde
Voilà un titre bien choisi pour ce second album de Rökkurró, d’abord parce qu’il marque une nette évolution par rapport à son prédécesseur, exit l’accordéon, fini les mignonneries, du krútt il ne garde que l’élégance et la sophistication. Avec l’aide du producteur Alex Somers (le compagnon de Jónsi de Sigur Ros) qui s’est impliqué dès l’écriture des morceaux et les premières répétitions, le groupe s’invente un univers, déploie des atmosphères rêveuses, mélancoliques et en même temps lumineuses autour de la voix d’Hildur. Celle-ci n’hésite plus à privilégier ses aigus, et tant mieux car tout là-haut chacune de ces notes est un régal. Rökkurró avait déjà le violoncelle et le piano, Alex Sommers travaille avec eux sur les arrangements de corde et de cuivre.
On ne sait pas si c’est le fait qu’il soit un proche de Sigur Ros ou si c’est la volonté du groupe (on vous parlait un peu plus haut du côté post-rock de la guitare) mais le résultat pourrait être décrit comme la rencontre entre le vocabulaire d’un post rock « Sigur Rossien » et une très belle instrumentation acoustique, le tout sublimé par un petit oiseau qui chante magnifiquement bien dans une langue dont on ne comprend pas les mots mais c’est là où la musique peut être magique, l’émotion passe quand même.
Sólin mun skína – 2010
Le succès et la pause
Í annan heim fera un gros carton en Islande, il restera plus de 100 semaines dans le top 30 local et permettra à Rökkurró de beaucoup tourner chez eux et en Europe. Il leur vaudra aussi la reconnaissance des médias indé internationaux dont KEXP.
Néanmoins le groupe va se mettre en pause pendant un an, le temps pour Hildur et la claviériste Helga (qui a rejoint le groupe après la sortie de Í annan heim, de même que Skúli à la basse) de passer un an au Japon. Hildur en profitera pour monter un projet solo, Lily And The Fox qui possède un soundcloud avec quelques reprises dont une de Nightcall de Kavinsky :
Le groupe finira par se retrouver et rejouer ensemble fin 2012 pour Iceland Airwaves. Ils commenceront ensuite à travailler sur le successeur de Í annan heim, à l’époque sans idée arrêtée sur la direction qu’ils allaient prendre.
Innra
Fin 2013, bien avant l’album à venir, Rökkurró offre un avant-goût de cette nouvelle direction. La douceur est toujours là mais le vocabulaire post-rock eux ont disparu, « Killing Time » est une jolie balade, assez dépouillée par rapport à ce qu’ils ont pu faire auparavant, construite autour d’accords plaqués au piano et de beats électroniques agrémentées de « vraies » percussions et de cordes discrètes, on reste dans l’univers de Rokkuro, c’est toujours poétique, lumineux, la voix de Hildur se savoure toujours avec autant de plaisir… et en anglais pour la première fois. Il y a aussi une nouvelle écriture qui se profile, un côté encore plus cérébral et sophistiqué.
Inra sortira en 2014, entièrement chanté en anglais en dehors de « Flugdrekar », que le groupe nous a joué en session Cargo !
Si on devait faire l’histoire chronologiquement c’est avec ce disque en fait qu’on découvre Rokkuro, grâce à la sublime « Weightless » qui rassemble toutes les qualités qu’on aime chez eux, la très belle voix d’Hildur qui s’illustre sur une ligne de chant émouvante et mélodieuse, des arrangements sophistiqués mélangeant électronique et instruments acoustiques, des atmosphères intimistes, mélancoliques qui possèdent en même quelque chose de lumineux, de zen. L’album commence en douceur mais les titres se font progressivement plus énergiques et plus rythmés comme « The Backbone », « White Mountain » fait un peu des deux : ça commence comme un piano-voix délicat mettant en valeur toute la tessiture d’une Hildur qui vous donne des frissons et puis le reste du groupe arrive et on fait monter la sauce. « Blue Skies », « Hunger », « Red Sun constituent à elles trois une belle fin d’album qui ne perd pas en intensité. En fait, il n’y a pas vraiment de titre faible, le genre qu’on zappe, pour nous « Weightless » est un cran au-dessus du reste, mais le reste est déjà de haut niveau !
DÈS 2015, HILDUR COLLECTIONNE LES RÉCOMPENSES
Pas de nouvelles de Rokurro depuis Inra, le twitter du groupe a cessé d’émettre, les derniers posts faisant un peu de pub aux projets électro pop de Hildur … mais pas seulement !
Et que dire de sa carrière solo comme collaboratrice de groupes et compositrice sur des projets aussi variés que passionnants et novateurs. Elle partage sa vie avec Sam Slater, un compositeur anglais, producteur de musique, avec qui elle collabore sur de multiples projets incluant la célèbre série Chernobyl en 2019 (Emmy Awards 2019 : meilleure musique pour la série Chernobyl) et Joker où notamment elle a été récompensée par l’Oscar de la meilleure musique de film en 2020. Elle partageait également à Berlin un studio d’enregistrement avec le compositeur, musicien et réalisateur Jóhann Jóhannsson, islandais comme elle, et avec qui elle a fréquemment collaboré jusqu’au décès prématuré de ce dernier début 2018. Il s’agissait donc d’une relation d’amitié créative profonde, d’une complicité musicale intense et, comme elle le dit, d’un « travail main dans la main ».En 2015, elle compose la musique de la série Trapped récompensée comme meilleure musique de série aux Edda Awards en 2016 . C’est d’ailleurs elle qui a contribué à finaliser le dernier projet cinématographique de Jóhannsson, Les Derniers et les Premiers (Last and First Men), créée en 2017.
Hildur – I’ll Walk With You – 2016
En 2019, Fejká nous a dévoilé un petit bijou qui nous fait voyager dans le nord de l’Europe. Et c’est très beau ! Sous le nom de Fejká se cache Brian Zajak, un jeune producteur allemand à qui l’on doit déjà l’EP Twilight (2017), mélange d’ambient et de techno. Deux ans après ce court opus, il revient avec le titre Svanur en featuring avec les Islandais Rökkurró. Pour accompagner sa musique très atmosphérique, Fejká a, en effet, utilisé des voix issues de leur album I Annan Heim (2010). Le résultat est une petite douceur qui nous invite à fermer les yeux et laisser couler nos pensées. Et pour parfaire le tout, Svanur est accompagné de belles images de pays nordiques tels que l’Islande, la Finlande et la Norvège.
Fejká – Svanur feat. Rökkurró – 2019
DISCOGRAPHIE
Það kólnar í kvöld
Tour EP 2009
Sorti seulement en 300 exemplaires
Í annan heim
Innra
Blue Skies - Single
The Backbone - Single
Killing Time - Single
Reunion par Fejká
Bridge of Death
Hildur Guðnadóttir
Bande originale de la série Chernobyl