Breitind et Kílian Jornet
On ne présente plus Kilian Jornet.
Depuis ces dernières années, il ouvre tant de nouvelles lignes dans les montagnes près de chez lui, repousse encore plus loin les limites de l’équilibre face à la verticalité, établit des records de vitesse, d’endurance comme auparavant quand il trustait les podiums de toutes les disciplines sportives de montagne. Sans compter tous les exploits dans un alpinisme relifté à sa façon ou en himalayisme. Performances et pratiques parfois controversées sur le matériel utilisé, solo assumé et l’image donnée d’une activité “débonnaire” au grand public et jeunes fougueux. Mais que dire de plus… Kilian – pas celui qui tape dans un ballon – est un “extra terrestre” humain qui ne cesse de se renouveler, de se remettre en cause et de faire des choix de vie remarquables.
©Photos : Kilian Jornet – Serge Colome – Paul Brechu – Axel Lindahl – Arêches Beaufort
Quand il ne court pas autour, dans ou sur les montagnes, Kilian Jornet skie avec maestria des pentes extrêmes. Cette facette du personnage n’est pas la plus médiatisée et, pourtant, certaines réalisations du Catalan en la matière le rangent parmi les meilleurs skieurs de pente raide de la planète.
Alors l’associer à une montagne norvégienne n’a pas été chose facile … ou si justement, car les exploits sont répétés et nous n’avons que l’embarras du choix. Malgré que nous ne connaissions pas toutes ses premières, nous avions pensé à mettre en lumière, cette inimaginable ouverture de ligne “Fiva” sur Trollveggen. Mais Nordge a traité cette dernière belle montagne avec une ouverture française en alpinisme classique. Il y avait aussi cet enchaînement extraordinaire en avril dernier. 7 sommets autour de Romsdal, près de chez lui, qu’il décrit comme « probablement sa journée de ski la plus impressionnante » 76.5 km et 9257 m de dénivelé, le tout en 21h28. Énorme !
UN GRAND RÊVE DEVENU RÉALITÉ
Mais dans son jardin un peu penché, il a aussi honoré de sa présence en mars dernier, le Breitind, 1 797 mètres, sommet le plus haut du massif montagneux du Trolltindan. Pour se faire, il a été accompagné dans cette tentative par David Lindgren. “Un grand rêve devenu réalité” comme l’écrit ce dernier sur son compte Instagram.
Il s’agissait d’imaginer une ligne à descendre à ski dans la face Est, très escarpée.
Mercredi 15 Février 2023. C’est le jour J ! « Un jeu mental », écrivait ainsi Kilian sur ses réseaux. « Skier une ligne aussi longue dans l’une des vallées les plus spectaculaires, avec une ambiance à couper le souffle, n’est pas un jour comme les autres ». Selon sa description, la ligne comprend « une longue (et raide) traversée suspendue entre des big walls, des couloirs ludiques, deux rappels dans la glace et deux désescalades ».
Un monstre de 1500 m de dénivelé qui pourrait être coté 5.6, avec des passages qu’il annonce à plus de 60 degrés. Pour les non initiés, la cotation s’arrêtait à 5.5 !
C’est avec ce même David Lindgren que Kilian Jornet a sorti un topo pour mettre en valeur le potentiel à skis de sa région d’adoption, qu’il s’évertue à approfondir et à partager.
BREITIND,
TOP SOMMET DU TROLLTIDAN
Breitind ou Breitinden culmine à 1 797 mètres et se situe sur la municipalité de Rauma dans le comté de Møre og Romsdal. Il est situé du côté ouest de Romsdalen à l’extrême nord du parc national de Reinheimen. Depuis Trollstigen à 695 m, versant Ouest, le sommet est accessible aisément quand la célèbre route est réouverte, en général entre fin mai et mi-juin.
De nombreux itinéraires et circuits passent par ce sommet emblématique. Mais depuis le fond de la vallée de Romsdalen, il y a 1 600 mètres d’escalade jusqu’au sommet, des voies d’escalade de niveaux 5 et 6, la première ascension connue depuis Romsdalen par la face Est a été réalisée en 1964 par un guide local, une véritable légende de l’alpinisme norvégien, Arne Randers Heen à l’âge de 59 ans.
“Je me définis comme un amoureux de la montagne. J’aime la compétition, le sport est avant tout un moyen de découvrir des paysages intérieurs et extérieurs.”
Sportif professionnel espagnol, spécialiste de ski-alpinisme, alpinisme, ultra-trail et ski de pente raide, Kilian Jornet est né le 27 octobre 1987 à Sabadel en Catalogne. Il est le fils d’Eduard Jornet, guide de montagne et gardien du refuge de Cap del Rec dans la Cerdagne catalane et de Núria Burgada, directrice d’une école primaire rurale et entraîneur au Centre technique de ski de montagne de Catalogne. Sa sœur cadette, Naila, fera aussi de la compétition de haut niveau en ski de montagne. Depuis 2015, Kilian Jornet partage la vie de la championne du monde suédoise de skyrunning Emelie Forsberg. Ils vivent dans une belle ferme dans le comté de Møre og Romsdal. Ensemble, ils créent la Tromsø Skyrace en 2014. Le 24 mars 2019, Emelie Forsberg donne naissance à une petite fille, puis à une seconde en avril 2021.
MI BAMBIN, MI CHAMOIS
Jornet vit une grande partie de son enfance, jusqu’à l’âge de douze ans dans le refuge de son père à 2000 mètres d’altitude. À trois ans, il gravit son premier sommet de 3 000 mètres après sept heures de marche, le Tuc de Molières. À cinq ans, il grimpe l’Aneto, le point culminant des Pyrénées à 3 404 m, et à six ans, il gravit son premier 4 000, le Breithorn. À dix ans, il finit la traversée des Pyrénées et « L’hiver, pour aller à l’école, avec ma sœur, on faisait quinze kilomètres en ski de fond. »
À treize ans, il intègre le Centre technique de ski de montagne de Catalogne où il commence à s’entraîner sérieusement pour le ski-alpinisme. En cadets, il monte sur ses premiers podiums. À dix-sept ans, il décide de ne pas entreprendre ses études universitaires au niveau de la mer à Barcelone mais de rester en montagne, et intègre la faculté de STAPS à Font-Romeu où il est avec un autre “extra terrestre”, Martin Fourcade.
UN PALMARÈS INSOLANT
A partir de 2007, pendant 5 ans, Kilian règne quasiment sans partage sur les épreuves d’ultra-trail, remportant pratiquement toutes les courses auxquelles il participe. Il a été plusieurs fois médaillé aux championnats du monde de ski-alpinisme, notamment en course verticale. Il a été quatre fois champion du monde de skyrunning, vainqueur des ultra-trails les plus prestigieux tels que l’UTMB (4x) la première fois à vingt ans, la Hard Rock 100 (5x) ou le Grand Raid (2x). En alpinisme, il est l’auteur de plusieurs records d’ascension comme le mont Blanc (4 806 m), le Denali (6 190 m) ou le Cervin (4 478 m) et vainqueur de 4 éditions de la Pierra Menta, de la Mezzalama en 2011 et de la Patrouille des Glaciers en 2012.
DES CAPACITÉS HORS NORMES
Sa grande capacité de récupération physique et sa grande polyvalence technique lui permettent de gagner en 2009 le classement général de la Coupe du monde de ski-alpinisme et de la Skyrunner World Series. La même année, il bat aussi des records en courses rapides comme la montée du Coll Blanc en Andorre en seize minutes et onze secondes ou les records de la traversée du GR 20 de Corse, l’Ultra-Trail du Mont-Blanc ou le Tahoe Rim Trail (aux États-Unis), traversée de 265 km en montagne qu’il réalise en 38 h 32 avec une seule heure de sommeil.
Selon le physiologiste Grégoire Millet, Kilian a le profil idéal de coureur d’ultra-trail : relativement jeune, un petit gabarit (peu musculeux) et de petite taille (57 kg et 1,71 m), de grosses capacités cardiaques (34 pulsations/minute au repos) et pulmonaires et une bonne expérience des sports de neige (type ski de fond ou ski-alpinisme). Ses capacités cardio-vasculaires sont soulignées par sa VO2 max variant entre 88 et 92 ml/min/kg et 5,2 l de capacité respiratoire.
SES ENGAGEMENTS ET SES CONVICTIONS
Quelques années après ces ascensions, Kilian Jornet se remet en cause, se citant comme « l’un des plus grands destructeurs de l’environnement ». Lors d’une interview peu après, il précise : « Ces dix dernières années, j’ai voyagé si frénétiquement en avion que mon mode de vie a été catastrophique pour l’environnement. » L’étude de son empreinte carbone sur divers points (alimentation, biens de consommation, logement, transports, services publics) montre effectivement des valeurs nettement en dessous de la moyenne d’un Français, sauf pour les déplacements avec plusieurs vols long-courriers. Après la naissance de sa fille, il prend comme objectif de les réduire drastiquement en n’effectuant plus qu’un voyage par an. Pour ce qui est du réchauffement climatique, il affirme : « Quand on passe autant de temps en montagne que moi, c’est impossible de ne pas voir qu’il y a un problème. »
Kílian Jornet est personnellement engagé avec sa fondation pour la lutte contre la pollution, et la sensibilisation pour le ramassage des déchets. Il incite les joggeurs à ramasser les détritus trouvés sur leur parcours, et les motive en leur demandant de les prendre en photo. La mission principale de sa fondation est la préservation des montagnes et de l’environnement. En plus de cela, Kílian Jornet a initié en 2023 le No Trace Program, en collaboration avec Xavier Thevenard, visant à promouvoir une pratique du sport en extérieur respectueuse de l’environnement, comprenant des campagnes de sensibilisation et des actions de nettoyage dans les montagnes.