Store Lenangstinden et Andreas Fransson
Quoi de plus normal pour rendre hommage à ce grand skieur bien sympathique, très apprécié dans la Vallée de Chamonix, que de l’associer à une de ses plus belles premières en Norvège, la face ouest de Store Lenangstinden.
C’est une ouverture assez démente, une ligne compliquée mais évidente quand on regarde cette face de plus de 1000 m.
C’est en direction de Nord Lenangen dans la partie Nord des Alpes de Lyngen, tout de suite après Jaegervatnet que l’on aperçoit des sommets très alpins dont Stortinden, Jaegervasstindan et Store Lenangstinden. Nous sommes à environ 15 kilomètres au nord-ouest du village de Lyngseidet, juste à l’ouest du Lyngenfjorden.
©Photos : Vincent Thiebaut – Andreas Fransson – Salomon
STORE LENANGSTINDEN,
MAJESTUEUSE PYRAMIDE DE LYNGEN
D’une hauteur de 1624 m, Store Lenangstind est une pyramide impressionnante, la quatrième face la plus haute de Norvège, 1576 m de proéminence. Le glacier Strupbreen se trouve le long du versant sud-est de la montagne, que l’on gravit depuis l’autre versant dans sa partie haute pour atteindre un sommet classique de randonnée à ski, Tafeltinden.
Son ascension par la voie normale implique des traversées de glaciers faciles, une grosse partie en neige raide et une escalade mixte côté AD. Et par son engagement, ce sommet est déjà réservé aux bons alpinistes. Quant à sa face ouest où serpente le couloir Félix, seulement gravie par des alpinistes expérimentés, c’est d’un tout autre niveau. Un terrain inhospitalier, des arêtes déchiquetées, escarpées, souvent recouvertes d’une neige océanique collante donnant des allures de sommets patagoniens qui contrastent avec les glaciers plutôt accueillants.
Alors quant à penser à descendre cette face à ski, c’est un tout autre délire, que seuls des skieurs de pente raide – il parait que dire skieur extrême est demodé – comme Andreas Fransson, Nikolai Schirmer ou Finn Hovem peuvent s’y aventurer….
LE COULOIR DE FÉLIX,
VOUS AVEZ DIT “EXPO”
Mardi 10 avril 2012
Andreas Fransson “Une des plus belles descentes que j’ai fait en Scandinavie”
Il faut dire qu’Andréas a parcouru cet itinéraire seul, juste impressionnant !
Un itinéraire exposé de couloirs étroits et raides avec une traversée au-dessus de barres rocheuses et quelques rappels sur Abalakov. Et les deux bâtons de ski étaient remplacés par deux piolets leashés au baudrier.
“Hier, j’ai enfin réussi à skier le couloir central de la grande face ouest de Store Lenangstinden. La face ouest est une paroi rocheuse de mille mètres striée de couloirs, sur la plus haute montagne de l’île nord de Lyngen. Le couloir central est le seul qui soit continu et il est bien visible depuis la route vers Nord-Lenangen. Si proche, mais toujours aussi loin. Par une approche de six kilomètres sur le plat, près de 1 600 mètres de dénivelé nous attend, principalement sur un terrain escarpé. Rien de bien comparable aux grandes montagnes du monde, mais c’est énorme en Scandinavie.
Sur cette deuxième tentative, je me suis mis en route avec Bjarne pour l’approche. Au bord du lac en contrebas de la montagne nous nous sommes séparés et il est remonté de l’autre côté de la vallée pour trouver un bon spot de tournage et j’ai continué sur la face. Cette fois, je n’avais pas prévu de gravir la voie mais de gravir un couloir sur la gauche, puis de remonter l’arête ouest jusqu’au sommet. J’ai pris le risque en espérant qu’il y ait un passage à travers les falaises de ce côté, car je ne l’avais vu que sur Google Earth et sur la carte sans reconnaissance sur le terrain.
J’ai bien galéré en nageant la majeure partie de la montée avec de la neige jusqu’aux genoux et parfois jusqu’à la taille, mais j’ai réussi à garder un rythme soutenu et après deux heures d’effort, j’étais debout sur le sommet ouest. De là, j’ai descendu la face ouest sur une centaine de mètres, puis j’ai continué à remonter le couloir principal jusqu’au sommet.
C’était une sensation formidable d’atteindre le sommet car j’avais vraiment l’impression que c’était un défi intéressant de choisir cette possibilité et en partant ce matin, je n’étais pas du tout sûr de trouver un bon chemin pour atteindre le sommet. Mais j’étais là, et à partir de là, il ne restait plus que la partie “amusante”, la descente.
J’ai descendu le couloir gavé d’une très bonne couche de poudreuse et qui était raide par endroit. J’ai dû skier avec précaution et gérer la neige avec prudence. À deux endroits, j’ai pu faire partir des couches instables. Je n’avais pas peur que tout s’écroule, mais le risque résidait dans le fait de me retrouver pris dans toutes ces couches qui me mènerait dans une mauvaise passe.
Ca était un ski génial et probablement le meilleur et le plus cool en Scandinavie. Le couloir se termine par une petite cascade de glace et j’ai mis un abalakov, j’ai descendu en rappel et j’ai marché trente mètres vers la gauche, puis j’ai fait trois autres rappels rapides sur les cascades de glace. Avec deux cordes de soixante mètres, cela aurait été un rappel long et un rappel très court au total, mais les règles du jeu changent avec une corde courte.
Depuis le dessous du rappel, j’ai traversé sur les corniches, j’ai fait un petit saut de sortie jusqu’à une corniche juste au-dessus de la grande falaise, j’ai continué à traverser à gauche, j’ai retiré mes skis et j’ai grimpé vingt mètres, puis j’ai continué à skier jusqu’au lac d’où je suis parti.
C’était une très bonne journée pour moi et j’ai passé un très bon moment. Cela fait aussi du bien de pouvoir faire quelque chose d’un peu plus stimulant en Scandinavie. Je dirais que les sensations de ce ski me rappellent celles de Mallory sur la face nord du Midi à Chamonix et, bien qu’un peu moins raides, il a la complexité, le défi, l’exposition, la grandeur et la qualité du ski pour être classé parmi les grandes classiques.
Mes cotations à chaud, disons TD, 5.3, 5 ou quelque chose comme ça. Et le nom : Le couloir de Félix, pour mon grand et regretté ami Félix Hentz, décédé en ce début d’année à Chamonix dans une avalanche…
Andreas Fransson, skieur et alpiniste suédois est décédé à 31 ans aux côtés de Jean-Philippe Auclair dans une avalanche le 29 septembre 2014 sur le Monte San Lorenzo à Aysen, au Chili, alors qu’il tournait pour la série de webisodes Apogee Skiing.
Andreas Fransson, faisait partie de la nouvelle vague de skieurs radicaux de ski extrême écumant les pentes et les couloirs les plus raides de la Norvège jusqu’en Alaska en passant par les Alpes et les Andes. Esprit chaleureux et simple, Andreas était un athlète très fort qui mêlait l’esprit jeune d’un ski décomplexé avec la tradition d’un alpinisme avec les respect des valeurs de la haute montagne.
Quand Andreas a emménagé à Chamonix en 2006, il a immédiatement skié et ouvert des lignes parmi les plus difficiles comme l’Aiguille de Blaitière, la face Nord de l’Aiguille du Midi par la Mallory et le Pain de sucre, les Courtes… la liste est bien longue. Quand il est allé au Denali, il a skié l’effrayante face sud, après deux couloirs difficiles et une ascension pour se chauffer. Il a ouvert de nouvelles possibilités au ski extrême.
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Le film Tempting Fear est un portrait intime et émouvant d’Andreas. C’est aussi l’un des meilleurs films de ski de tous les temps, qui creuse dans l’esprit des ces athlètes exceptionnels qui affrontent le risque et la mort. Andreas écrivait beaucoup, et l’un de ses derniers posts sur son site est particulièrement émouvant : « On peut choisir de voir la mort d’un ami comme quelque chose de tragique ou quelque chose de beau. On peut choisir de croire ce que l’on veut sur ce qui se passe après la mort. On peut créer la réalité que l’on veut. Alors créez une réalité que vous aimez ! ».