Lendbreen, un glacier norvégien qui dévoile des milliers d’artefacts et de reliques vikings
Il est temps de refermer notre saison estivale qui s’est prolongée largement sur les premières semaines d’automne, par un article illustrant une fois encore les conséquences d’un réchauffement climatique. Car c’est une réalité et cela se voit sur le terrain. Meilleure preuve contre les climatosceptiques. Après la banquise arctique qui fond, le permafrost qui fait décrocher des pans de montagne et nos glaciers qui disparaissent, laissant entrevoir les traces de notre passé, en Norvège, ce sont des vestiges archéologiques, de cadavres momifiés qui étaient auparavant figés sous les glaces.
Quand les fantômes du passé nous dévoilent leurs traces et nous alertent sur l’avenir de notre société…
Nous ne sommes pas allés sur place, nous allons juste vous relayer l’information trouvée sur des sites fiables et dignes d’intérêt.
Cet article est paru initialement sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
©Photo ci-dessus :Les archéologues établissent leur camp de base devant la plaque de glace de Lendbreen en 2018.
Crédits : Espen Finstad/Secrets of the Ice – Mårten Teigen/Museum of Cultural History – NG – James H. Barrett/Université de Cambridge
La plaque de glace de Lendbreen fond rapidement, comme le montrent les photos prises en 2006 (au-dessus) et 2018 (en-dessous).
DES MILLIERS D’ARTEFACTS HISTORIQUES PIÈGÉS DANS LES GLACIERS NORVÉGIENS
Cette découverte comprend notamment des vêtements, des armes et même des skis anciens. Au total, plus de 2000 reliques ont été découvertes dans la région de Jotunheimen et les montagnes environnantes du comté d’Oppland, en Norvège. Des squelettes d’animaux de charge parfaitement conservés ont également été trouvés.
Dans le cadre de leurs recherches, l’équipe internationale de chercheurs a procédé à la datation au carbone des artefacts pour établir des modèles de chasse et de commerce dans les anciennes communautés qui parcouraient autrefois ces montagnes glaciales, révélant certaines tendances intéressantes des âges du bronze et du fer.
Tout a commencé avec une chemise vieille de 1800 ans. L’archéologue Lars Holger Pilø avait assisté à la mise au jour d’une ancienne tunique en laine, émergée d’une plaque de glace à moitié-fondue sur le Lomseggen, une montagne du sud de la Norvège. Cette découverte n’a pas manqué de piquer la curiosité de Pilø : quels autres artefacts la glace avait-elle bien pu préserver ? Alors que le reste de l’équipe emballait la précieuse trouvaille, un autre archéologue et lui-même s’éloignèrent du groupe, s’enfonçant dans le brouillard qui enveloppait la montagne.
Alors que ses yeux s’habituaient à l’obscurité, Pilø s’est rendu compte qu’il avait face à lui un champ d’objets qui n’avaient pas été exposés à la lumière du jour depuis des centaines d’années. Des traîneaux cassés, des outils et d’autres traces de la vie quotidienne vieux d’à peu près 2000 ans gisaient à la surface de la plaque de glace de Lendbreen, dont la fonte a été accélérée par le réchauffement climatique.
« Nous avons compris que nous avions trouvé là quelque chose de vraiment spécial », explique Pilø, qui dirige le programme archéologique des glaciers à Oppland, en Norvège.
La recherche publiée cette semaine dans la revue Antiquity documente ce qui a suivi : la découverte de plus de 1 000 artefacts littéralement figés dans le temps.
Datés d’environ 300 à 1 500 après J.-C., les artefacts racontent l’histoire d’un col de montagne qui a servi de couloir de migration vital pour les colons et les agriculteurs se déplaçant entre les établissements d’hiver permanents le long de la rivière Otta, dans le sud de la Norvège, et les fermes d’été de haute altitude plus au sud. Et alors qu’ils voyageaient à travers le terrain accidenté, ces voyageurs du passé ont tout laissé, des fers à cheval aux ustensiles de cuisine en passant par les vêtements. Alors que la neige s’est accumulée au fil des siècles, ces objets oubliés ont été préservés dans ce qui est devenu la plaque de glace de Lendbreen.
Les plaques de glace sont situées à haute altitude, mais elles se distinguent de leurs lointains cousins, les glaciers. Les objets pris au piège dans les glaciers finissent pulvérisés à l’intérieur de la masse de glace en mouvement. Les plaques de glace, elles, sont statiques et préservent les artefacts – qui demeurent en excellent état jusqu’à ce que la glace fonde.
Pilø – principal auteur de l’article paru dans Antiquity – et ses collègues ont jusqu’à présent daté au radiocarbone 60 des 1 000 artefacts de Lendbreen, révélant que l’activité humaine sur le col a commencé vers 300 après J.-C., à une époque où de bonnes conditions climatiques ont favorisé un pic démographique dans la région. Les voyages à l’ère des Vikings ont culminé vers l’an 1000 et, en raison des changements économiques et climatiques, ont commencé à décliner avant même que la peste noire ne touche la Norvège dans les années 1340.
Morceaux de bouse de cheval trouvés dans la zone du col à Lendbreen. Les datations au radiocarbone de la bouse montrent qu'elle appartient au 9ème au 14ème siècle après JC.
Il apparaît également que le col de Lendbreen n’était pas seulement une voie locale pour les agriculteurs se déplaçant entre les pâturages saisonniers. L’équipe de Pilø a découvert plusieurs cairns, des formations rocheuses empilées conçues pour aider les personnes qui ne connaissaient pas le terrain à se repérer lors de voyages plus longs à travers la Scandinavie. La présence de cairns, ainsi que la découverte de fers à cheval, est une preuve « très convaincante » que la plaque de glace a été utilisée comme artère de voyage pendant près de 1 000 ans, explique Pilø, faisant du site norvégien le premier col découvert en Europe du Nord.
Albert Hafner, archéologue à l’Université de Berne qui n’a pas pris part aux recherches en cours, rejoint cette conclusion. « Je pense que les arguments fournis sont assez clairs », dit-il. En 2003, Hafner a découvert des centaines d’artefacts datant de 4 800 avant notre ère à Schnidejoch, une plaque de glace dans les Alpes suisses qui était également utilisée comme passage de montagne. « C’est assez intéressant d’avoir un site similaire en Scandinavie », ajoute Hafner.
Le présent article se concentre sur les objets découverts avant 2015, ce qui laisse des centaines d’autres artefacts à dater et documenter, ainsi que sur les raisons pour lesquelles le passage a été abandonné par les voyageurs. « Le déclin commence avant la pandémie de peste noire, mais nous n’avons pas d’explication à cela », explique Pilø. Les années durant lesquelles le passage semble avoir été le plus emprunté correspondent à une période de commerce et d’urbanisation accrus dans la région – des jours prospères qui expliquent la nécessité d’un moyen rapide pour traverser les montagnes.
En haut : Pilo tenant une flèche de 1400 ans destinée à la chasse au renne.
En bas : quenouille en bouleau, datée au radiocarbone à c. AD 800. De la zone du col à Lendbreen. Une quenouille similaire a été trouvée dans l'enterrement du navire viking d'Oseberg.n
En haut à gauche : un artefact vieux de 900 ans, tenu à l'envers). En haut à droite : une aiguille en bois. En bas à droite : un petit couteau en fer avec un manche en bois de bouleau trouvé juste en dessous de la zone du col à Lendbreen. Radiocarbone daté du 11ème siècle après JC.
En haut à gauche : une tunique de l’âge de fer, découverte dans un col de montagne. En haut à droite : cette chaussure en cuir a été datée au radiocarbone au 10e siècle après J.-C. En bas à gauche : petit récipient en écorce de bouleau. Daté au radiocarbone à 400 après J.-C. En bas à droite : gants fabriqués à partir de différentes pièces de tissu tissé.
Un étui à bougie datant de 500 ans
QUE NOUS RÉSERVE L’AVENIR ?
Les recherches menées à Lendbreen ont pris fin en 2019 et Pilø est maintenant à la recherche d’autres objets révélés par une fonte massive des fragiles plaques de glace norvégiennes. Les artefacts « sont stockés dans un congélateur préhistorique géant », explique Pilø. « Ils n’ont pas vieilli. Je dis parfois en plaisantant que la glace est une machine à remonter le temps, mais ce n’est pas qu’une blague. La glace transporte les artefacts d’une époque à une autre. »
Mais pour que d’autres artefacts soient mis au jour, la glace doit fondre. Et la cryosphère norvégienne s’étiolant déjà à cause du changement climatique et une série d’étés extrêmement chauds, chaque trouvaille apparemment miraculeuse a un goût doux-amère.
« Nous essayons de nous concentrer notre travail de recherche, mais ça ne peut que nous frapper », explique Pilø. « Ce n’est pas un travail que vous pouvez faire sans un grand sentiment d’appréhension. »