Erdgeist ou la photographie du silence
Quand la planète et les esprits s’échauffent, partir vers les terres du Nord ressemble à une quête initiatique vers une nature indomptée qui pourrait nous apaiser. Malgré la violence des éléments, la noirceur des paysages, l’adversité et la démesure de ces contrées sauvages de l’Atlantique Nord, leur beauté et leur force tissent avec le voyageur un lien invisible qui le pro-pulse vers une infinie poésie intérieure.
Le photographe Patrick Bogner le sait bien, lui qui est habité par le silence. Pour lui, pas question de photographier ces paysages. Mais bien de photographier « l’état d’âme provoqué par le paysage ». Toute la puissance poétique de ses images nait de cette quête qu’il nourrit d’une passion pour le romantisme primitif du Sturm und Drang, cher à Goethe. Un mouvement qu’il exprime d’ailleurs dans son premier Faust, où il évoque l’Erdgeist, l’esprit de la terre.
Dans les photos de Patrick Bogner, extrêmement précises, ciselées et puissantes, on voyage dans les images sacrées, avec la même contemplation profonde que devant un tableau de Caspar David Friedrich ou de Gustave Doré.
Ces face à face intérieurs, Patrick est allé les chercher en 12 voyages, des îles Feroe à la Norvège arctique en passant par l’Islande, les Orcades et les Hébrides
« Le silence nous porte à la contemplation, à l’écoute de l’inouï. S’il me fascine, c’est que je sais qu’il m’attend quelque part. S’il fait mine d’être muet, peut-être nous écoute-t-il ? Il n’est pas le vide, il est plein de lui-même. Il s’écrit par la ponctuation, il bat entre les mots, il est audible, il s’écoute par les pauses en musique, il se donne à voir par les blancs en peinture ou par les arrêts entre nos gestes. Il doit être photographiable; certains y sont déjà parvenus. Oui, photographier le silence qui ne réclamerait plus les mots qui m’envahissent et me débordent si souvent. »
De ce travail intime, où la contemplation de l’extérieur nous renvoie à nos solitudes intérieures, est né un livre magnifique. ERDGEIST, édité à L’Atelier contemporain, commence par une longue lettre à son ami Jean-Yves Loude, ethnologue et écrivain. Tout est dit pour nous accompagner dans la plongée en apnée au coeur des images de ces contrées déchainées, inhabi-tables, où l’homme est fatalement de passage.