Friluftsliv, un concept nordique qui fait rêver
Depuis le début de la crise sanitaire, les réseaux sont envahis par des concepts de retour sur soi : méditation pleine conscience ou guidée, yoga, sylvothérapie, et bien d’autres chemins vers une spiritualité qui nous ferait défaut. Chacun trouve le chemin qui lui va bien mais pour nous, depuis longtemps, c’est la nature qui nous rend plus zens. Un constat qui croise notre amour pour la Norvège, pays emblématique du “Friluftsliv”.
“Les grandes expériences de la nature n’ont pas besoin d’être extrêmes.”
Car en Norvège, le bonheur passe quotidiennement par une (re)connexion avec la nature. Comme de grands enfants, les norvégiens adorent marcher des heures en pleine nature, camper en forêt, gravir des montagnes quelle que soit la saison et les conditions climatiques … autant d’activités qui permettent de s’apaiser et de se retrouver, selon les préceptes du Friluftsliv (qui signifie littéralement “la vie en plein air”). Il n’est pas rare de croiser des citadins s’échappant de la ville après leur journée de travail pour partir vers les grands espaces et passer une soirée au grand air et même y dormir. Comme si à Paris, après 19 heures, on allait camper dans la forêt de Montmorency ou bivouaquer dans le bois de Boulogne tout naturellement.
© Photos : Antoine Thiébaut – Tommy Simonsen – Kari Schibevaag – Vincent Thiébaut – Norsk Friluftsliv
EN OSMOSE AVEC LA NATURE ET L’AMOUR DU GRAND AIR
L’expression friluftsliv a été inventée par le célèbre dramaturge Henrik Ibsen dans la seconde moitié du XIXe siècle. Il désignait ainsi la valeur qu’il accordait au temps passé à l’écart du monde, pour son bien-être spirituel et physique. Et cette idée de passer du temps dans la nature à des fins purement récréatives fait partie de la culture norvégienne depuis des siècles. « Aujourd’hui, neuf Norvégiens sur dix sont sensibles à la friluftsliv », explique Bente Lier, secrétaire générale de Norsk Friluftsliv, une organisation regroupant 18 associations norvégiennes.
FRILUFTSLIV : QUEL EST SON VÉRITABLE SENS ?
Nombreux sont les internautes et les blogueurs à poster une multitude de photos sur leurs comptes Instagram. Les téléphones connectés sont alors nécessaires pour témoigner et immortaliser ce moment hors du temps, hors des contraintes du monde actuel. Cette expérience personnelle partagée grâce à la technologie, dans une nature pure et préservée, est-elle compatible avec ce besoin de liberté et de recherche de sens ?
« La friluftsliv ne désigne pas forcément une activité spécifique. Pour les Norvégiens, ce terme a un sens plus large, il sous-entend une déconnexion du stress quotidien et l’appartenance à un “nous” culturel, qui nous relie à la nature en tant qu’être humain », explique Bente Lier. Sur le plan philosophique, la friluftsliv, c’est à la base le fait de vivre simplement dans la nature, sans détruire ni déranger cette dernière. C’est un concept qui est aussi étroitement lié au “kos” (confort, bien-être) – ce terme norvégien singulier désignant le fait de passer un bon moment.
Les cinq ingrédients du bien-être trouvent tous leur expression dans la friluftsliv :
- tisser des liens (en pratiquant des activités de plein air avec les autres)
- être actif (en faisant de la randonnée, du vélo, du kayak, etc.)
- observer (en étant curieux, en remarquant ce qui est beau)
- étendre ses connaissances (apprendre une nouvelle activité ou emprunter un nouveau chemin)
- donner (en aidant les autres à passer un bon moment à l’extérieur)
La friluftsliv fait partie de l’identité nationale et l’amour du grand air se reflète dans tous les aspects de nos vies. En voici quelques exemples :
- La friluftsliv a donné lieu à une loi, la friluftsloven, qui comprend le droit d’accès à la nature.
- Il y a en Norvège plusieurs garderies de plein air (friluftsbarnehager), dans lesquelles les enfants passent 80 pour cent de leur temps dehors.
- Les Norvégiens apprécient d’avoir un partenaire qui bouge, et les premiers rendez-vous en mode rando ou vélo ne sont pas rares.
- En Norvège, il existe des « bibliothèques » subventionnées par l’État, où l’on peut emprunter du matériel de plein air.
- L’Association norvégienne de randonnée pédestre (DNT) a plus de 260 000 adhérents. Chaque année, plus de 550 000 heures de bénévolat sont consacrées à l’entretien des 550 chalets de la DNT, au balisage des sentiers, à la planification des séjours, etc.
- En Norvège, on peut suivre des études de friluftsliv.
Vue sur le fjord de Tromsø, un soir de juillet à minuit
Vestarålen, paysage propice à la contemplation
DE MULTIPLES BIENFAITS
Les spécialistes savent depuis longtemps que passer du temps en pleine nature produit des effets positifs sur la santé physique et psychique.
« Les bienfaits physiques de la friluftsliv sont inestimables parce que, la plupart du temps, elle implique une activité physique sous une forme ou une autre. Mais les bienfaits psychiques sont eux aussi nombreux ». Plusieurs études norvégiennes ont montré que la principale motivation pour adopter la friluftsliv, c’est un désir de paix et de sérénité. Dans une enquête menée auprès du grand public depuis 2020, neuf Norvégiens sur dix ont déclaré se sentir moins stressés et de meilleure humeur lorsqu’ils passaient du temps en pleine nature.
« Ce qui se produit, lorsqu’on observe la nature, explique Helga Synnevåg Løvoll, c’est qu’on détache son attention de soi-même. » Helga Synnevåg Løvoll, professeure de friluftsliv à la Volda University College, a mené plusieurs études sur le vécu émotionnel, spirituel et esthétique de l’expérience de la friluftsliv. Elle en a conclu que le fait de s’asseoir tranquillement dans les bois peut être aussi bon pour la santé que de gravir un versant de montagne au pas de course.